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Joseph
et Vidal
Ortiz
Un empire venu du froid
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A
l'âge où les autre enfants pensent
surtout à jouer, ils travaillent déjà
dur le soir en rentrant de l'école ou
pendant les congés scolaires mais vont
constituer un véritable empire qui, au
milieu des années quatre-vingt dix, compte
6 000 salariés et vend plus de 220 000
000 de litres de glace ! Joseph et Vidal Ortiz,
ainsi que trois autres frères de la même
famille bien trop tôt disparus, vont connaître
l'une des plus formidables réussites
industrielles françaises, en partant
de rien. Les frères disparus, ce sont
André, Jean et Louis, l'aîné,
qui avant d'être remplacé à
sa mort, en 1984, par Vidal au poste de P.D.G
du groupe en fut le "cerveau". Les
cinq "frangins" étaient indissociables
et unis comme des doigts d'une main mais il
fallait un dominant et ce fut Louis qui, dès
l'âge de 12 ans, allait discuter fiscalité
face au contrôleur des impôts !
Avec seulement leur certificat d'études
en poche mais le sens pratique et même
le génie pour remplacer les diplômes
que, obligés de se mettre au travail
très tôt, ils n'ont pu passer,
les frères Ortiz sont devenus des légendes...
Pourtant Luis, leur père, n'arrive en
France qu'au début du XXème siècle,
venant d'Espagne où il cultivait la terre.
Les débuts sont difficiles pour le petit
immigré, qui commence à vendre
des friandises dans la rue avec une simple voiture
à bras. Il distribue surtout une spécialité
de son pays natal, la crème glacée,
qui est faite de façon vraiment artisanale.
Joseph et Vidal Ortiz n'ont pas oublié
comment, avant d'avoir atteint l'âge de
10 ans, ils confectionnent des glaces. |
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 Sans
disposer de chambres froides, qui sont encore peu
courantes au début des années trente
et de toute façon trop chères pour le
vendeur ambulant. Les matières premières,
toujours naturelles (lait, oeufs, crème, sucre,
parfums) sont mélangées dans un récipient
métallique, la sorbetière, elle même
placée dans un tonneau rempli de glace additionnée
de sel dont le rôle est de produire le froid.
Mais il faut tourner l'ensemble à la main et
les gamins Ortiz arrivent très souvent à
l'école les paumes pleines d'ampoules...
La fabrique de glaces est alors installée rue
Marini, à Saint-Dizier, et ne la quittera qu'après
la guerre pour occuper une partie de la Brasserie
du Fort Carré, alors que Luis Ortiz travaille
avec ses cinq fils et seulement 4/5 employés.
La famille, où tout le monde se serre les coudes
et discute projets ensemble, réalise à
la fin de la guerre de 39/45 une première performance
invraisemblable pour les soldats Américains
qui sont bloqués par une contre-offensive allemande
dans la poche de Bastogne : afin que les fêtes
de Noël ne soient pas trop insupportables pour
les hommes d'Outre-Atlantique venus délivrer
la France, les frères Ortiz passent quatre
nuits à confectionner des glaces qui leur sont
parachutées dans des containers ! Et c'est
Vidal qui se charge du remplissage des deux avions
Dakota affectés à cette périlleuse
mission. |
Mais
la famille Ortiz continue à distribuer ses
produits dans la rue, avec des triporteurs qui sont
d'abord entraînés par des pédales
puis par des motos. Et Vidal conserve religieusement
un de ces "points de vente ambulants" fait
à partir d'une moto allemande rescapée
de la campagne de Russie que, comme ses frères,
il a si souvent conduit !
La seconde idée géniale, à l'origine
de la formidable réussite de la famille Ortiz,
c'est de distribuer des glaces dans les cinémas,
à l'entracte. Des glaces qui se dégustent
sans assiette ni cuillère et, au début
des années cinquante, les frères achètent
leur première machine à confectionner
les bâtonnets glacés enrobés de
chocolat. Le succès est foudroyant et, après
avoir commencé avec les cinémas de Haute-Marne
puis de la région, la firme qui se développe
propose ses produits dans toute la France et plus
tard, dans l'ensemble des territoires d'Outre-Mer.
Les frères Ortiz feront encore
preuve d'un formidable esprit créatif en imaginant
d'autres présentations pour leurs glaces :
petits pots, cônes (avec un cornet en gaufrette,
un énorme succès), cassatte, suspens,
etc. Ils proposeront aussi leurs glaces sous forme
de gateaux, en grands conditionnements pour les familles
ou les collectivités. En matière de
crèmes glacées, ils ont pratiquement
tout inventé... |
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Le
nombre de parfums ne cesse d'augmenter et les frères
Ortiz conservent toujours le souci de la qualité.
Leurs glaces ne contiennent que des produits frais
et naturels, achetés au plan local pour l'essentiel
et ils deviennent rapidement les plus importants
consommateurs de lait, crème ou oeufs de
toute la région !
Le milieu des années cinquante marque un
autre tournant pour la firme Ortiz, qui devient
Miko. Encore une idée qui se révéle
géniale et n'est pourtant due à aucun
spécialiste du marketing. Le nom est tout
simplement trouvé... grâce à
un petit chien qui aboie. "Tais toi Miko",
lui lance l'ami des frères propriétaire
de l'animal et c'est le déclic : dans ce
patronyme, il y a Mi - comme milk, lait - et Ko,
syllabe phonétique de chocolat, qui entre
dans la confection des glaces.
Ce sont encore les frères Ortiz qui dessinent
les premiers logos de la marque, toujours avec un
solide bon sens et en utilisant des images simples
montrant bien ce qu'ils vendent : de la glace ou
des dérivés qui évoquent le
froid. La création des premiers messages
publicitaires destinés aux cinémas
est elle aussi une affaire de famille et de nouveau
la preuve que les frères autodidactes ont
du génie : très vite, ils "écrasent"
tous leurs concurrents dans les salles. Plus tard,
leur société bien implantée,
ils vont s'entourer de services spécialisés
en matière de création de produits
et de communication mais avaient acquis seuls l'essentiel
: un nom, Miko, mondialement connu et réputé
!
La
famille Ortiz va encore "écraser"
les autres glaciers, qui ont pourtant une toute
autre dimension de départ, en matière
d'organisation commerciale : elle ouvre des dépôts
pour être en mesure de répondre très
rapidement à la demande. Et Miko en possède
déjà une vingtaine quand la firme
réussit un nouveau coup de maître :
le rachat de Délico, la division glaces d'une
multinationale pourtant infiniment plus puissante
que "les petits glaciers de l'Est". Avec
cette acquisition, ce sont de nouveaux dépôts
et, à son sommet, Miko en possède
quatre-vingt-quinze dans toute la France, doublés
d'un parc de 1 200 camions frigorifiques et véhicules
divers qui sont utilisés pour les livraisons
ou par les commerciaux !
Délico, c'est également une usine
ultra-moderne en Région parisienne, dont
les machines sont démontées pour être
transférées à Saint-Dizier,
où Miko a repris l'ensemble des bâtiments
de la Brasserie du Fort Carré et même
construit d'autres locaux à côté
(où se trouve la fameuse tour ornée
du sigle Miko). Et, plus tard, ce sont de nouvelles
implantations ou des achats d'unités de fabrication
existantes et la société bragarde
s'installe à Nantes, en Savoie, en Belgique,
en Allemagne et en Espagne. Le marché des
cinémas, qui ont souffert du développement
de la télévision, s'est effondré
mais Miko est si bien implanté dans les grandes
surfaces, les boulangeries, les restaurants, sur
les plages, etc., qu'il surmonte sans problème
ce choc. Et grâce à ses franchisés,
il est représenté dans tous les territoires
d'Outre-Mer, au Japon et en Corée !
En
matière de communication, le nom de Miko
est apparu dans tous les grands journaux ainsi qu'à
la télévision dès que celle-ci
s'ouvre à la publicité. La marque
est même présente sur le Tour de France,
où elle intègre la caravane publicitaire,
sponsorise le maillot jaune et aura enfin sa propre
équipe, en association avec d'autres grandes
sociétés comme Mercier ou Kas. Leaders
dans le domaine de la crème glacée
et disposant de dépôts aussi bien implantés
que bien équipés, les frères
Ortiz se lancent ensuite dans la distribution de
produits surgelés et là aussi vont
réussir. En rachetant la célèbre
firme Vivagel, ils deviennent également des
phares dans ce domaine et atteignent leur apogée.
Avec en point d'orgue, la construction en zone industrielle
de Trois-Fontaines d'une usine ultra-moderne qui
n'a pas qu'équivalente en Europe. Qui, à
Saint-Dizier, produit 70 000 000 de litres de glace
par an mais a une capacité de 150 000 000
de litres et y compte, avec le siège social
du groupe, 1 500 collaborateurs ! Et lorsqu'une
partie majoritaire de la famille, pour assurer l'avenir,
céde la société, en 1994, au
groupe Unilever - celui là même à
qui elle a acheté Délico - c'est une
page d'histoire qui se tourne. C'est plus qu'une
page d'histoire même, un véritable
conte de fée, écrit grâce au
seul génie et au courage de petits haut-marnais
qui ont su forcer le destin...
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